mardi 6 novembre 2012

Carthago delenda est


Ces derniers temps on parle de plus en plus du salafisme en France. Vu du Maroc cela semble assez curieux. Bon il va de soi qu’après les anarchistes du dix neuvième siècle, les communistes du vingtième siècle, al qaeda au début de ce millénaire, la guerre menée contre l’empire du mal ne s’arrêtera  pas. La  guerre contre le salafisme n’est donc qu’un nouvel épisode dans un feuilleton nécessaire et ce jusqu’à la lutte finale et le grand soir tant attendu dans toutes les écritures et notamment l’évangile selon saint jean.  Mais les guerres sont aussi mauvaises pour le commerce que pour la réputation, et on craint au Maroc que cela ne fasse, à terme fuir les touristes ainsi que les investisseurs.

 En réalité le mouvement salafiste  commence à évoluer et on entrevoit mieux les nuances qui font que son influence reste limitée. D’abord l’appellation salafiste est un leurre même s’il s’agit d’une faute de traduction et d’orientaliste plus qu’une faute de journaliste. Le vrai nom de ce courant (sa vraie nature) est le cheikhisme. Ensuite Le fait que les mécènes des grands prédicateurs de ce courant soient des saoudiens multimillionnaires ne doit pas surprendre. Ce sont les grands financeurs de ce mouvement de par le monde. Enfin le cheikhisme est une forme de confucianisme, la prière et la culture islamique en plus. Ce dont il s’agit, c’est avant tout de « l 'harmonie entre l'homme et l'ordre général du monde dans tous les aspects de la vie, depuis l'observation des rites religieux gouvernementaux et familiaux jusqu'aux règles de comportement de vie en société ».

Le plus grand reproche que font les savants musulmans aux salafistes est justement leur soumission toute confucéenne à l’autorité de leurs cheikhs. Ce point de vue est bien expliqué par Mr Ahmed Raîssouni dans le journal marocain el Massae  (vendredi 2 novembre 2012). « Les grands cheikh du salafisme explique-t-il, considèrent tout conseil donné aux dirigeants, fut-il judicieux,  comme un acte inqualifiable qui ternit la gloire du souverain et incite à la fitna, en d’autre terme à la guerre civile ». Or le conseil au gouvernement est comme chacun le sait une prérogative du musulman.

C’est la raison pour laquelle, le salafisme malgré les apparences et sa visibilité est un courant très minoritaire dans le monde musulman alors que, vu d’europe, il apparait comme une déferlante religieuse voire un tsunami. L’explication de son implantation au Maroc tient au fait que le mode de fonctionnement du chekhisme est semblable à celui, bien plus populaire et traditionnel des zaouia. Les deux systèmes se fondent sur la prééminence du « precepteur » et un fonctionnement de type clanique. Ils sont d’ailleurs en concurrence permanente voire frontale, au moins en tout les cas, depuis qu’un roi du Maroc au dix neuvième siècle a soutenu l’introduction au Maroc des Wahhabistes d’Arabie saoudite pour rééquilibrer le rapport de force entre les autorités et les groupes religieux traditionnels du pays.

L’écueil principal sur lequel achoppe le cheikhisme, que l’on parle du mouvement des zaouia ou du mouvement de la salafiya est justement celui de la prééminence du « protecteur » ou du « précepteur » comme dit plus haut. Il est dans la nature du sectarisme de limiter la part de libre arbitre et d’autonomie des adeptes. L’exemple des uléma à qui on retire la prérogative du « conseil au gouvernant », comme l’explique Mr Raîssouni,  en est l’illustration. Un savant qui ne dispose pas de cette prérogative (qui par ailleurs est littéralement un attribut de la foi ; « la foi est le sens du conseil » dit un haddith du prophéte _sal ‘am)  ne dispose pas de son entière liberté, et partant ne dispose plus de sa caution d’éducateur qui fait de lui le dirigeant ou le symbole ou le précepteur ou le prédicateur ou le protecteur -soit le cheikh, d’une communauté de fidèles. A terme il arrive à ces mouvements ce qui arrive à tous les mouvements, c'est-à-dire, une dilution dans les ambitions politiques. Il en a été ainsi avec les mouvements soufistes des zaouia dans le passé, il en est de même avec les mouvements de la salafiya dans l’histoire récente. Le fait que ces mouvements semblent importants aux yeux des européens et en Europe est essentiellement le témoignage de leur perte de vitesse.

En Europe, en France notamment, les deux mouvements coexistent et là aussi sont en concurrence plus ou moins loyale. L’initiation soufiste à l’islam est parfois le préalable à une carrière de musulman salafiste tout comme l’inverse  est  possible. Mais, il ne s’agit dans le fond que du passage d’un cheikh à un autre. De manière générale les échanges sont limités d’une communauté à l’autre. Le fait que à la salafiya on attribue un caractère de violence jihadiste est principalement du à la jeunesse de ses cadres et de son encadrement et à la jeunesse du mouvement en général.  C’est d’ailleurs essentiellement le sentiment de préjudice social subi, le racisme, le chauvinisme, le chômage et la pauvreté qui expliquent les débordements qui arrivent parfois. Sans compter la publicité particulière donnée à ce mouvement, bien loin de sa véritable implantation dans le pays. Une armée d’employés,  de petits commerçants,  de chômeurs et de prisonniers peut en effet difficilement inquiéter les autorités constituées d’un pays stable.

Avec le temps et les épisodes de l’intégration par le biais de la scolarité, de l’emploi, du travail associatif voire  du carriérisme politique, il ne reste de ces grands feux de la Saint Jean qu’un petit feu de paille. Quant à la guerre contre l’empire du mal et le malin, tout le monde sait qu’elle ne s’arrêtera  jamais.Comme disait Caton l Ancien,  Carthago delenda est.  Il faut détruire Carthage !