Ces derniers temps
on parle de plus en plus du salafisme en France. Vu du Maroc cela semble assez
curieux. Bon il va de soi qu’après les anarchistes du dix neuvième siècle, les
communistes du vingtième siècle, al qaeda au début de ce millénaire, la guerre menée
contre l’empire du mal ne s’arrêtera pas. La
guerre contre le salafisme n’est donc qu’un nouvel épisode dans un
feuilleton nécessaire et ce jusqu’à la lutte finale et le grand soir tant
attendu dans toutes les écritures et notamment l’évangile selon saint jean. Mais les guerres sont aussi mauvaises pour le
commerce que pour la réputation, et on craint au Maroc que cela ne fasse, à
terme fuir les touristes ainsi que les investisseurs.
En réalité le mouvement salafiste commence à évoluer et on entrevoit mieux les
nuances qui font que son influence reste limitée. D’abord l’appellation salafiste est un leurre même
s’il s’agit d’une faute de traduction et d’orientaliste plus qu’une faute de
journaliste. Le vrai nom de ce courant (sa vraie nature) est le cheikhisme.
Ensuite Le fait que les mécènes des grands prédicateurs de ce courant soient
des saoudiens multimillionnaires ne doit pas surprendre. Ce sont les grands
financeurs de ce mouvement de par le monde. Enfin le cheikhisme est une forme
de confucianisme, la prière et la culture islamique en plus. Ce dont il s’agit,
c’est avant tout de « l 'harmonie entre l'homme et l'ordre général du
monde dans tous les aspects de la vie, depuis l'observation des rites religieux
gouvernementaux et familiaux jusqu'aux règles de comportement de vie en société ».
Le plus grand
reproche que font les savants musulmans aux salafistes est justement leur
soumission toute confucéenne à l’autorité de leurs cheikhs. Ce point de vue est
bien expliqué par Mr Ahmed Raîssouni dans le journal marocain el Massae (vendredi 2 novembre 2012). « Les grands
cheikh du salafisme explique-t-il, considèrent tout conseil donné aux
dirigeants, fut-il judicieux, comme un
acte inqualifiable qui ternit la gloire du souverain et incite à la fitna, en
d’autre terme à la guerre civile ». Or le conseil au gouvernement est
comme chacun le sait une prérogative du musulman.
C’est la raison
pour laquelle, le salafisme malgré les apparences et sa visibilité est un
courant très minoritaire dans le monde musulman alors que, vu d’europe, il
apparait comme une déferlante religieuse voire un tsunami. L’explication de son
implantation au Maroc tient au fait que le mode de fonctionnement du chekhisme
est semblable à celui, bien plus populaire et traditionnel des zaouia. Les deux
systèmes se fondent sur la prééminence du « precepteur » et un
fonctionnement de type clanique. Ils sont d’ailleurs en concurrence permanente
voire frontale, au moins en tout les cas, depuis qu’un roi du Maroc au dix
neuvième siècle a soutenu l’introduction au Maroc des Wahhabistes d’Arabie
saoudite pour rééquilibrer le rapport de force entre les autorités et les
groupes religieux traditionnels du pays.
L’écueil
principal sur lequel achoppe le cheikhisme, que l’on parle du mouvement des
zaouia ou du mouvement de la salafiya est justement celui de la prééminence du
« protecteur » ou du « précepteur » comme dit plus haut. Il
est dans la nature du sectarisme de limiter la part de libre arbitre et
d’autonomie des adeptes. L’exemple des uléma à qui on retire la prérogative du
« conseil au gouvernant », comme l’explique Mr Raîssouni, en est l’illustration. Un savant qui ne
dispose pas de cette prérogative (qui par ailleurs est littéralement un
attribut de la foi ; « la foi est le sens du conseil » dit un haddith du
prophéte _sal ‘am) ne dispose pas
de son entière liberté, et partant ne dispose plus de sa caution d’éducateur
qui fait de lui le dirigeant ou le symbole ou le précepteur ou le prédicateur
ou le protecteur -soit le cheikh, d’une communauté de fidèles. A terme il
arrive à ces mouvements ce qui arrive à tous les mouvements, c'est-à-dire, une
dilution dans les ambitions politiques. Il en a été ainsi avec les mouvements soufistes
des zaouia dans le passé, il en est de même avec les mouvements de la salafiya
dans l’histoire récente. Le fait que ces mouvements semblent importants aux
yeux des européens et en Europe est essentiellement le témoignage de leur perte
de vitesse.
En Europe, en
France notamment, les deux mouvements coexistent et là aussi sont en
concurrence plus ou moins loyale. L’initiation soufiste à l’islam est parfois
le préalable à une carrière de musulman salafiste tout comme l’inverse est possible. Mais, il ne s’agit dans le fond que
du passage d’un cheikh à un autre. De manière générale les échanges sont
limités d’une communauté à l’autre. Le fait que à la salafiya on attribue un
caractère de violence jihadiste est principalement du à la jeunesse de ses
cadres et de son encadrement et à la jeunesse du mouvement en général. C’est d’ailleurs essentiellement le sentiment
de préjudice social subi, le racisme, le chauvinisme, le chômage et la pauvreté
qui expliquent les débordements qui arrivent parfois. Sans compter la publicité
particulière donnée à ce mouvement, bien loin de sa véritable implantation dans
le pays. Une armée d’employés, de petits
commerçants, de chômeurs et de
prisonniers peut en effet difficilement inquiéter les autorités constituées
d’un pays stable.
Avec le temps et
les épisodes de l’intégration par le biais de la scolarité, de l’emploi, du
travail associatif voire du carriérisme
politique, il ne reste de ces grands feux de la Saint Jean qu’un petit feu de
paille. Quant à la guerre contre l’empire du mal et le malin, tout le monde
sait qu’elle ne s’arrêtera jamais.Comme disait Caton l Ancien, Carthago delenda est. Il faut détruire Carthage !
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